Une
promenade d’environ 1h 30 originale vous a été proposée, elle a évoqué à partir
de la lecture de courts extraits, la sorcellerie à Toul. Nous nous sommes
référés au livre d’Albert Denis qui étudie la période où les tribunaux conduisaient les sorciers au bucher. Nous déborderons lors de cette promenade de
la période étudiée par cet auteur (fin
du XVI°, début du XVII°). Ce parcours accessible à tous, allie de courtes
lectures, des anecdotes et l’histoire de Toul.
Cette promenade
préparée par l’association « Le Claveau » a été animée par Josette Codron (professeure de français
retraitée), Philippe Masson (historien)
et Jean-Pierre Ziegler (conteur) .Jean
Michel Florentin a contribué aux photos.
Albert Denis
historien de Toul. Parvis
de la cathédrale
Tout au long de cette promenade nous nous référerons au
travail d’Albert Denis, qui a plus particulièrement relaté la sorcellerie à
Toul. Il s’est appuyé sur d’autres historiens qui l’ont précédé.
Qui
était Albert Denis ?
Bien
que né à Charmes (Vosges) en 1866 - où son père est juge de paix - Albert Denis
est issu d’une famille bourgeoise touloise. Son grand père est médecin à Toul
et son père président du tribunal de Toul. Albert Denis fait ses études au
collège de Toul puis à la fac de droit de Nancy. Il est avocat au barreau de
Nancy en 1888. En 1892 débute sa carrière politique : il devient conseiller
municipal de Toul (et le reste jusqu’en 1923) puis maire (1898-1912). Il est de
plus conseiller d’arrondissement (1895) puis conseiller général de Toul-sud (1898
à 1928). Député de 1911 à 1914, il s’inscrit au groupe de la gauche radicale
(centre gauche). Il décède à Meudon (Hauts-de-Seine) en 1931.
C’est un homme cultivé, membre du comité
départemental de l’enseignement primaire, qui appartient à plusieurs sociétés
savantes. Il publie des travaux historiques variés avec une prédilection pour
la Révolution française. Il s’intéresse également à l’agriculture (Notice sur la culture du houblon,
1928) ou à la culture populaire (Petit
vocabulaire toulois, [S.D.]).
Le
premier cas toulois date de 1584, le dernier de 1623. 14 hommes et 53
femmes (soit 72 % du corpus) furent poursuivis. On considère que la
répression y fut active mais non forte.
Explication
de l’importance numérique du nombre de femmes supposées être
sorcières :
-Scipion
Dupleix (Condom 1569-1661), historien,
précepteur d’un fils légitimé d’Henri
IV,
historiographe
de France et conseiller
d'État,
explique dans sa Philosophie,
que si il existe plus de sorcières que de sorciers c’est parce que
les femmes sont plus faibles et plus simples ( donc plus faciles à
tromper par le malin).
-Selon
l’historien Jules Michelet (1798-1874), la sorcellerie est plutôt
féminine parce que souvent le pacte diabolique prend forme d’une
relation intime (« union »).
Les
accusations visent des femmes souvent *seules : sans maris ou
veuves, sans enfants pour assurer quotidien, prendre leur défense
*issues
de classes modestes. A Toul, 24 des femmes accusées de sorcellerie
sont sans profession, 10 mariées avec 1 homme « simple » :
tisserand, vigneron ou vacher
*Sans
éducations
En
conséquence, les accusées sont sans défenses face au monde
judiciaire. Comme elles ont parfois un caractère difficile, elles
constituent des cibles idéales à la vindicte. Il y a en effet des
caractères très logiques à désigner un sorcier.
Le
sabbat est en fait un festin villageois inversé :
-les
mets sont puants
-Ne
s’y trouvent ni pain ni sel, aliments symboles chrétiens et de
civilisation
-Il
se déroule selon un silence morne et non une ambiance joyeuse A
Toul, Le sabbat se déroule au lieu-dit « Bollinvaux »
(c’est un parc à fourrages militaire en 1888),
sur les pentes de la côte Barine, à l’ouest de la chapelle
Saint-Urbain.
Dom Calmet : démons et sorcellerie dans le Jardin des évêques
Dom Calmet né en 1672 à Ménil la Horgne n’a pas connu la
période des procès en sorcellerie à Toul. Nous l’évoquons car il a fait son
noviciat à l’abbaye St Eve, et a suivi un enseignement de théologie à l’abbaye
Saint Mansuy. Il a écrit un traité sur les vampires, mais nous retiendrons surtout
ses pages sur la sorcellerie, tirées de
l’histoire civile et ecclésiastique de la Lorraine
Extraits relatifs à la sorcellerie
Saint-Evre
guérissant un possédé vitrail de
la cathédrale
Saint-Evre guérissant un possédé
Saint Evre est le 7e
évêque de Toul, à la fin du Ve
siècle. Il est originaire de Trancol au diocèse de Troyes. Son
hagiographie le pare de la plus grande vertu dès son enfance.
Les
Acta tullensium episcoparum (Actes
des évêques de Toul), rédigés anonymement au XIIe
siècle évoquent un des plus fameux miracles de saint Evre avec la
libération de prisonniers à Châlons parmi « multitude »
opérée : la guérison d’un possédé qui, à la différence
d’un sorcier, ne s’est pas donné volontairement au démon.
Suite aux travaux de
consolidation du transept sud de la cathédrale (1853), un nouveau
vitrail est posé en 1863. Il est l’œuvre de Casimir de Balthasar
de Gachéo (1811-1875) qui n’a pas manqué de faire figurer scène
de la guérison, un démon s’échappant de la bouche du possédé
(2e
lancette de la verrière sud du transept, 2e
registre en partant du bas).
Exemple d'accusation à l'encontre d'une sorcière rue Saint-Amand
L’ouvrage d’Albert Denis reprend les actes d’accusation de plusieurs
procès.
Nous retenons pour illustrer la situation un témoignage :
celui de Jeanne femme Paillet
Je
suis Jeanne Pailley, femme de Didier Pailley, vigneron à Toul, on me
soupçonne d’être sorcière, et d’user de sortilèges.
Des
témoins ont été entendus en l’année 1594 par les enquêreurs de
Toul, à la requête du procureur général Raguet. Je vais vous dire
pourquoi j’ai été inculpée.
Le
premier témoin était Babon, femme d’André Guyot, tisserand,
demeurant à Toul, âgée de 31 ans environ. Il y a 6 ans, elle et
son mari se trouvaient aux loges, suite à une épidémie de peste.
Se trouvant en bonne dispostion ils pouvaient retourner en ville.
Moi, Jeanne, j’ai demandé à Guyot de me vendre une poule, qui se
trouvait aux Champs. Ma demande fut refusée.
Moi,
Jeanne, je suis allée chercher des grenouilles avec le fils de Guyot
âgé de 7ans alors que sa mère lui avait défendu. Je les ai
apprêtées, et le fils Guyot les a fait rôtir et les a mangées. On
prétendit qu’aussitôt, il fut surpris par une extrême et grave
maladie ; il jetait le sang par la bouche, le nez, et par les
oreilles de la liqueur semblable à du venin et à du poison. Au bout
d’un mois il perdit l’usage des membres et de tous les sens
donnés par la nature, la parole, la vue, l’ouïe. On dit qu’il
était piteux à voir et que l’on sentait dans son ventre un
morceau de la grosseur d’un pain de deux blancs qui était dur
comme pierre. Puis survint une fistule, et l’enfant mourut au bout
d’un mois. Babon, la mère, pensa que je lui avais donné le
mal pour le refus de la poule.
Le
deuxième témoin a été André Guyot mari de Babon, qui a dit la
même chose. Il a dit qu’il n’avait pas voulu me vendre la poule
car elle donnait des œufs pour nourrir son fils. Il m’a reproché
aussi d’avoir fait mourir son fils.
Le
troisième témoin était Claudin Bicquilley, âgé de 86 ans,
vigneron à Toul. Il a déclaré sous serment que, il y a trois ans,
autant qu’il s’en souvienne, messire Gérard desservant l’église
saint Amand lui avait promis de lui louer une chambre dans la maison
de la cure Saint Amand. Je me suis opposée à son entrée car je
l’avais louée la première. Il y eut une altercation entre nous.
Je vis que Messire Gérard préférait Claudin Bicquilley à moi. Il
entra dans la maison et on rapporta que je lui aurais dit des menaces
« eh bien vous y entrez ; vous y voulez coucher ;
vous verrez demain au matin s’il vous en prend bien ».On dit
que le lendemain il se trouva saisi d’une faiblesse. Il se trouva
perclus des deux mains et que dès lors il ne s’en est pas remis.
On a estimé que la cause avait été notre dispute et on prétendit
que je lui avais toujours porté un mauvais visage.
Le
quatrième témoin était femme Cathin, veuve d’un manouvrier. Elle
demeurait à Toul et était âgée de 40 ans. Elle a dit qu’il y a
3 ans, encore du vivant de son mari, elle devint malade inopinément,
d’une maladie étrange. Elle était enflée et souffrait, et en
l’espace de 15 mois a été portée en grande pauvreté. Elle
désespérait de la guérison, elle sortit dans la rue et se présenta
aux voisins. On découvrit sa pauvreté, jusqu’à ses linges et
habits qui tombaient en pourriture. Elle désirait plutôt la mort
que de vivre davantage. Je fus émue de compassion. Je suis allée
quérir dans ma maison une chemise blanche et elle s’en revêtit.
Petit à petit, elle recouvra la santé et guérison. Elle dit ne pas
savoir d’où provenait le mal, et que la chemise avait aidé à sa
guérison. On dit de moi que j’étais suspecte et redoutée des
bons voisins.
L’inquisition à Toul Face à l’ancien couvent des dominicains
Le
mot inquisition désigne deux choses : une procédure d’enquête
et un tribunal confiée notamment aux dominicains mais pas
uniquement. Le premier inquisiteur
connu, Conrad de Marbourg, est un prémontré. Le Pape se tourne vers
les dominicains en particulier pour la France (1233) et pour le
Languedoc (1234). Deux ans plus tard, il leur adjoint un franciscain.
Ce sont là des ordres intellectuels, spécialisés dans la
prédication dont les membres sont des théologiens. En pratique, ils
n’assurent plus cette mission en France au XVe
siècle, s’effaçant devant les tribunaux d’état. A
Toul, l’ordre est appelé vers 1240. Les dominicaines s’installent
bien plus tard, en 1622.
Le protocole de
condamnation Face à Saint Gengoult
Protocole de
condamnation pour sorcellerie à Toul (suite)
Porte
Malpertuis
Extrait de l'ouvrage d'Albert Denis
Extrait de l'ouvrage d'Albert Denis
Les sorciers dans les
légendes de Toul Sur le rempart vue du St Michel
Plusieurs légendes du Toulois évoquent l’intervention de
sorcellerie. Nous en retiendrons une qui a comme cadre « le Saint
Michel » et « la côte barine » côtes directement visible
de Toul.
La
colline « Le St Michel » s’appelait autrefois le mont
Bar.
On
raconte que le Diable
lui-même, organisait des sabbats en son sommet. Toutes les sorcières
des Vosges, de Meuse, de Lorraine, « la haute volée »,
venaient fêter leur maître. Du bruit, des flammes, des rires
effrayaient les habitants de Toul, retranchés dans leurs demeures,
volets clos.
Cela
durait toute la nuit.
Les
habitants demandent à leur évêque d’intervenir. Celui-ci décide
de bénir cette colline et de changer son nom, en l’appelant St
Michel, l’archange qui a vaincu le démon.
Cette
nouvelle ne plut pas au diable,
qui rentra dans une colère
épouvantable.
Il
chercha un moyen de garder sa place forte. Il demanda à ses acolytes
de confectionner une hotte immense.
Un
soir il monta au sommet muni d’une pioche, d’une pelle et de
cette hotte.
Il
avait imaginé de transporter le mont
Bar
dans sa hotte et de l’installer dans un lieu moins hostile.
Toute
la nuit il piocha, creusa, pelleta. Mais tout Diable
qu’il était, il suait, se fatiguait, la tâche était grande.
Il
regardait souvent vers l’est, car dés les premiers rayons du
soleil, il devait partir.
Déjà
un coq chante dans le lointain, il charge son fardeau et dévale la
pente. Une souche le fait trébucher,
il tombe et renverse ses grabats.
Il disparaît.
La
nuit fut terrible
pour les habitants des environs, entre bruit et jets de pierres.
Quant
au matin ils se décident à regarder vers le mont
Bar,
il manque à celui-ci sa cime, mais à côté, il y a une petite
colline.
Après
en avoir fait le tour et après bien des palabres, comprenant que
cette colline est une partie du mont
Bar,
ils lui donnent le nom de Côte
Barine.
Faits contemporains rappelant la sorcellerie dans le toulois
Présentation par Jean-Pierre Ziegler d'un objet relatif à la sorcellerie, trouvé dans le toulois.
La sorcellerie reste une source
d’inspiration pour des auteurs. La nouvelle "Eléonore" de Jean-Pierre Ziegler a reçu le prix Moselly décerné par le CELT en 1969.
LA SORCELLERIE DANS
LA LITTERATURE
Textes de Josette Codron lus sur le parcours
Textes de Josette Codron lus sur le parcours
1-
La croyance, au diable, à la fée, à la magie, à la sorcellerie, à
la sorcière, moins souvent aux sorciers, s’exprime de façon
permanente dans la littérature.
Deux
genres littéraires : le merveilleux et le fantastique, rendent
compte de l’irruption d’éléments irrationnels qui installent le
trouble dans le monde observable et quotidien : objets et
paroles magiques, poisons, pactes, assemblées ou sacrifices… sont
des constantes de ces récits extra-ordinaires.
Cette
croyance en une énergie mystérieuse qui vient de « quelque
part » est très répandue en littérature : « un
rien suffit pour délimiter deux mondes » d’où
l’ambivalence de certaines figures célèbres comme par
exemple :
Circé,
dans la mythologie grecque, qui est déesse magicienne puissante,
tantôt sorcière maléfique, tantôt fée bienfaisante.
La
sorcellerie qui cherche à mobiliser les puissances surnaturelles est
souvent dans les contes et récits pratiquée par des femmes et très
souvent c’est par elles que, soi disant, « le mal arrive ! »
L’origine
de la Guerre de Troie n’est-elle pas causée par la fatidique
pomme d’or offerte à Aphrodite ?
Eve,
la première femme de la Bible, en cédant au serpent, à la
tentation, aurait engendré la mort ! (le mot serpent en hébreu
signifiant à la fois magie et refus de vivre est assimilé à
Satan).L’historien Georges Duby, spécialiste du moyen-âge,
affirme que le récit mythique d’Eve la pécheresse a influencé la
représentation de la femme jusqu’au 15 ème siècle.
Il
n’est pas étonnant d’observer, lors des témoignages historiques
lus ici, que ce soit la femme le plus souvent présentée comme
responsable, donc victime.
La
chasse aux sorcières, « boucs émissaires de tous
les maux», a battu son plein de 1400 à 1650 et la littérature
s’en est fait largement l’écho.
Dans
la pièce de Shakespeare : Macbeth (1606), ce sont trois
sorcières maléfiques qui sont les instruments de destins tragiques.
Il
faudra attendre Michelet, plus encore le poète que l’historien,
pour défendre la femme de façon inconditionnelle et réhabiliter en
quelque sorte la sorcière « qui connaît les médecines
et guérit »! (La Sorcière 1862) ,
2- De nombreux écrits insistent sur le rôle du démon, de ses
métamorphoses monstrueuses, des méfaits qu’il peut opérer, et de
ses promesses aux plus faibles. La sorcière étant son interlocuteur
favori !
Le
diable, chef des démons, a diverses dénominations en littérature :
tantôt nommé l’Adversaire, le Diviseur, le Mauvais, le Prince des
Ténèbres, Satan. Il est invisible, mais sait mettre l’homme à
l’épreuve .Sorciers et sorcières ont commerce avec lui !
Poudres, incantations magiques, envoûtements, sacrifices, offrandes
de toutes sortes font partie des moyens déployés.
Même
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751) consacre de
nombreuses pages aux sorciers : « On
se souviendra avec étonnement, dit M. de Voltaire dans son essai
sur le siècle de Louis XIV, que la maréchale d’Ancre fut brûlée
en place de Grève comme sorcière et que le conseiller Courtin,
interrogeant cette femme infortunée(sœur de lait de Marie de
Médicis) lui demanda de quel sortilège elle s’était servie pour
gouverner l’esprit de Marie de Médicis, la maréchale lui
répondit : je me suis servie du pouvoir qu’ont les âmes
fortes sur les esprits faibles ;et cette réponse ne servit qu’à
précipiter l’arrêt de sa mort. »… « La
maréchale d’Ancre fut accusée de sortilège, de s’être servie
d’images de cire qu’elle conservait dans les cercueils et d’avoir
fait venir des sorciers prétendus religieux dits ambrosiens de
Nanci(Nancy) en Lorraine »
On
notera que Voltaire consulta les ouvrages de Dom Calmet, le
rencontra, et trouva refuge un temps chez lui.
Les
sabbats, dont il est souvent question, font penser au Faust de Goethe
(vers 1808) et à d’autres représentations de Faust ou
littéraires ou musicales.
Un
certain Dr Faust aurait vécu en Allemagne au les 15 ème ou 16 ème
siècle. Il donna lieu à de nombreuses légendes, puis, enfin,
devint personnage littéraire. Un pacte avec un démon nommé
Méphistophélès l’immortalisa, et le relia à l’épisode de la
célèbre Nuit de Walpurgis .Cette nuit du 30 avril au 1er
mai donnait lieu au sabbat des sorcières. (Elle coïncidait avec la
fête de Ste Walburge (710 - 779). Mais cette fête païenne n’avait
évidemment aucun lien avec la sainte et était interdite par
l’Eglise !
Damnation
et possession sont des constantes lorsque l’on évoque diables et
sorcières.
3-
La Légende dorée est un ouvrage écrit en latin (1261-1266) par
Jacques de Voragine, Dominicain et archevêque de Gênes. Il
semblerait que ce soit le premier ouvrage imprimé en langue
française en 1476 à Lyon. L’auteur entendait exalter la foi en
créant une sorte de « mythologie chrétienne ». Ce
vitrail représente un « possédé » en proie aux
forces du mal, mais qui sera heureusement délivré…
Saint
Georges et Saint Michel sont représentés dans de nombreuses églises
en train de combattre le mal caché sous la forme d’un dragon. La
littérature est riche de ces exemples d’affrontement. Il s’agit
de libérer les forces mauvaises, le péché, installé dans un
corps humain. Au 20ème siècle, nombre de films relatent exemples et
semblables allégories du mal.
En
1926, le roman Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos, union du
fantastique et du réel, décrit le calvaire de l’abbé Donissan,
sorte de Curé d’Ars, animé d’une telle passion du salut qu’il
offre sa damnation (?) possession (?) afin d’épargner la
jeune Mouchette.
Dans
cette cathédrale qui subit la fureur révolutionnaire, il me semble
opportun d’évoquer l’écrivain Jacques Cazotte guillotiné en
1792 et son célèbre roman : le Diable amoureux (1772).Ce roman
est considéré comme le premier récit fantastique. Un chevalier
invoque le diable, Belzebuth, dans les ruines d’Herculanum.
Celui-ci apparaît sous la forme d’une tête de chameau, puis se
change en épagneul et au final, devient une belle jeune fille !
Le
thème de « la Beauté du Mal » aura des adeptes en
littérature…
« Le
monde invisible nous presse de tous côtés » répétait à
l’envi Jacques Cazotte qui prophétisait en privé et considérait
la Révolution comme l’œuvre du Diable en personne.
4-
Quelques auteurs célèbres de la Pléiade ont eux aussi cédé
littérairement à la chasse aux sorcières.
Pierre
de Ronsard est éminemment respectable dans le cœur des écoliers
qui ne savent peut-être pas que sous les traits de la jeune et belle
Cassandre Salviati « Mignonne, allons voir si la rose… »
se cache la Cassandre de Troie aimée d’Apollon qui a reçu le don
de prophétie et dont les yeux qui enchantent l’amant et le monde
ont aussi des pouvoirs de sorcellerie !
Ronsard
compose trois pièces pour la sorcière Denise qu’il
foudroie !(1550)
« Puisse-
t -elle mourir bientôt
Et
que ses os diffamez
Privez
d’honneur et de sépulture
Soient
des corbeaux goulus pasture
… » Il regrette explicitement que le bourreau se soit
contenté de fouetter cette pauvre femme originaire du vendômois !
« Par
toi les vignes sont gelées Par toi les plaines sont greslées Par
toi les arbres se renversent Par toi les laboureurs lamentent leurs
blés perdus et par toi pleurent les bergers leurs troupeaux qui
meurent… »
Ces vers accusateurs sont de Joachim du Bellay qui, lui aussi, accuse
une autre femme !
Le
scepticisme de Montaigne n’a pas encore instillé raison et
doute… « C’est mettre ces conjectures à bien haut
prix que d’en faire cuire un homme tout vif » dit-il dans Les
Essais.
5-
En ce qui concerne les représentations des gargouilles, constatons
que l’humain a bien du mal à se situer entre l’Ange et la Bête !
Les Métamorphoses d’Ovide perdurent !
Cathédrales
et cloîtres font penser à cet historien et écrivain, Prosper
Mérimée, ami de Viollet le Duc. L’un et l’autre mirent tout en
œuvre pour sauver nos merveilles architecturales. Prosper Mérimée,
comme Victor Hugo, remit le moyen- âge au goût du jour.
Dans
les Odes et Ballades (1826 ), Victor Hugo se joue de la figure de la
sorcière dans « La Ronde du Sabbat » , toute
l’atmosphère féerique et poétique d’un cloître se mêle à
celle de la magie et de la sorcellerie.
Mais
la figure la plus touchante dans notre imaginaire reste bien sûr ce
personnage du roman, dont le titre complet est Notre Dame de Paris
1482 ( publié en 1831) : l’énigmatique Esméralda. Prétendue
sorcière, danseuse des rues, accompagnée de sa chèvre, elle exerce
une fascination troublante. On la dit de race « bohème et
adonnée aux maléfices ! ».Lors de son procès, livre
8 « Vous avouez avoir vu le bélier que Belzébuth fait
paraître pour rassembler le sabbat qui n’est vu que des sorciers.
Vous avouez avoir eu commerce avec le diable sous la forme d’une
chèvre… » Et l’innocente jeune fille ayant appris des
tours à sa chèvre les fait reproduire lors du procès (car la bique
comparaît elle aussi aux bancs des accusés) qui mènera Esméralda
vers le gibet ! Quasimodo, accusé lui aussi d’être sorcier,
se laissera mourir en enlaçant le cadavre d’Esméralda.
6-
Conclusion
Les
personnages dont s’empare la littérature ont toujours en eux cette
mystérieuse ambiguïté qui fait leur inépuisable richesse . Le
personnage de la sorcière en est l’exemple type car avec elle,
nous passons allègrement du visible à l’invisible…
La
littérature enfantine a déjà bien habitué le lecteur adulte à
ces facettes contradictoires de l’âme humaine et les fées peuvent
soudain devenir de méchantes sorcières.
Ainsi
le personnage de Jeanne d’Arc, que le militant rationaliste
Michelet a hissée au rang d’héroïne nationale, fut pourtant
brûlée pour sorcellerie !
Sorcière
maléfique pour Shakespeare, personnage burlesque pour Voltaire,
résistante patriotique pour Bernard Shaw, canonisée en 1897, elle
fait l’objet de centaines de biographies, pièces de théâtre et
films…
L’irrationnel
questionne, fascine, et puisqu’il faut comme dans les westerns des
bons et des méchants, la littérature utilisa les sorcières pour
faire peur aux petits et grands enfants et tenter d’
identifier le mal!
En
guise de conclusion…
Les
épisodes de sorcellerie correspondent à des temps de malheurs, marqués par les
épidémies et les guerres (notamment la Ligue), D’où la misère, l’insécurité,
les inquiétudes et les psychoses. Ce contexte favorise le phénomène. A une
époque où le malheur rode, la sorcellerie permet de trouver une
« raison » à la difficulté des temps
Les accusations émanent presque entièrement des communautés locales. Les plaignants se présentent en victimes de voisins malveillants. Enfin, l’aboutissement à l’accusation résulte souvent de mésententes progressives entrecoupées de commérages puis d’identification de celui ou celle par qui le malheur arrive.