lundi 1 août 2016

Sorcellerie et diablerie à Toul




     Une promenade d’environ 1h 30 originale vous a été proposée, elle a évoqué à partir de la lecture de courts extraits, la sorcellerie à Toul. Nous nous sommes référés au livre d’Albert Denis qui étudie la période où les tribunaux  conduisaient les sorciers au bucher.  Nous déborderons lors de cette promenade de la période étudiée par cet auteur (fin du XVI°, début du XVII°). Ce parcours accessible à tous, allie de courtes lectures, des anecdotes et l’histoire de Toul.


Cette  promenade préparée par l’association « Le Claveau » a été animée par  Josette Codron (professeure de français retraitée),  Philippe Masson (historien) et  Jean-Pierre Ziegler (conteur) .Jean Michel Florentin a contribué aux photos. 




Albert Denis historien de Toul.                               Parvis de la cathédrale



Tout au long de cette promenade nous nous référerons au travail d’Albert Denis, qui a plus particulièrement relaté la sorcellerie à Toul. Il s’est appuyé sur d’autres historiens qui l’ont précédé.


Qui était Albert Denis ?

Bien que né à Charmes (Vosges) en 1866 - où son père est juge de paix - Albert Denis est issu d’une famille bourgeoise touloise. Son grand père est médecin à Toul et son père président du tribunal de Toul. Albert Denis fait ses études au collège de Toul puis à la fac de droit de Nancy. Il est avocat au barreau de Nancy en 1888. En 1892 débute sa carrière politique : il devient conseiller municipal de Toul (et le reste jusqu’en 1923) puis maire (1898-1912). Il est de plus conseiller d’arrondissement (1895) puis conseiller général de Toul-sud (1898 à 1928). Député de 1911 à 1914, il s’inscrit au groupe de la gauche radicale (centre gauche). Il décède à Meudon (Hauts-de-Seine) en 1931.
 C’est un homme cultivé, membre du comité départemental de l’enseignement primaire, qui appartient à plusieurs sociétés savantes. Il publie des travaux historiques variés avec une prédilection pour la Révolution française. Il s’intéresse également à l’agriculture (Notice sur la culture du houblon, 1928) ou à la culture populaire (Petit vocabulaire toulois, [S.D.]).



Le premier cas toulois de sorcellerie (extrait d'Albert Denis)



Le premier cas toulois date de 1584, le dernier de 1623. 14 hommes et 53 femmes (soit 72 % du corpus) furent poursuivis. On considère que la répression y fut active mais non forte.

Explication de l’importance numérique du nombre de femmes supposées être sorcières :

-Scipion Dupleix (Condom 1569-1661), historien, précepteur d’un fils légitimé d’Henri IV, historiographe de France et conseiller d'État, explique dans sa Philosophie, que si il existe plus de sorcières que de sorciers c’est parce que les femmes sont plus faibles et plus simples ( donc plus faciles à tromper par le malin).

-Selon l’historien Jules Michelet (1798-1874), la sorcellerie est plutôt féminine parce que souvent le pacte diabolique prend forme d’une relation intime (« union »).

Les accusations visent des femmes souvent *seules : sans maris ou veuves, sans enfants pour assurer quotidien, prendre leur défense

*issues de classes modestes. A Toul, 24 des femmes accusées de sorcellerie sont sans profession, 10 mariées avec 1 homme « simple » : tisserand, vigneron ou vacher

*Sans éducations

En conséquence, les accusées sont sans défenses face au monde judiciaire. Comme elles ont parfois un caractère difficile, elles constituent des cibles idéales à la vindicte. Il y a en effet des caractères très logiques à désigner un sorcier.



Le sabbat est en fait un festin villageois inversé :

-les mets sont puants

-Ne s’y trouvent ni pain ni sel, aliments symboles chrétiens et de civilisation

-Il se déroule selon un silence morne et non une ambiance joyeuse A Toul, Le sabbat se déroule au lieu-dit « Bollinvaux » (c’est un parc à fourrages militaire en 1888), sur les pentes de la côte Barine, à l’ouest de la chapelle Saint-Urbain.




Dom Calmet : démons et sorcellerie                      dans le Jardin des évêques



Dom Calmet né en 1672 à Ménil la Horgne n’a pas connu la période des procès en sorcellerie à Toul. Nous l’évoquons car il a fait son noviciat à l’abbaye St Eve, et a suivi un enseignement de théologie à l’abbaye Saint Mansuy. Il a écrit un traité sur les vampires, mais nous retiendrons surtout ses pages  sur la sorcellerie, tirées de l’histoire civile et ecclésiastique de la Lorraine

Extraits relatifs à la sorcellerie






Saint-Evre guérissant un possédé                              vitrail de la cathédrale

Saint-Evre guérissant un possédé 
 

Saint Evre est le 7e évêque de Toul, à la fin du Ve siècle. Il est originaire de Trancol au diocèse de Troyes. Son hagiographie le pare de la plus grande vertu dès son enfance.

Les Acta tullensium episcoparum (Actes des évêques de Toul), rédigés anonymement au XIIe siècle évoquent un des plus fameux miracles de saint Evre avec la libération de prisonniers à Châlons parmi « multitude » opérée : la guérison d’un possédé qui, à la différence d’un sorcier, ne s’est pas donné volontairement au démon.

Suite aux travaux de consolidation du transept sud de la cathédrale (1853), un nouveau vitrail est posé en 1863. Il est l’œuvre de Casimir de Balthasar de Gachéo (1811-1875) qui n’a pas manqué de faire figurer scène de la guérison, un démon s’échappant de la bouche du possédé (2e lancette de la verrière sud du transept, 2e registre en partant du bas).








Exemple d'accusation à l'encontre d'une sorcière   rue Saint-Amand


L’ouvrage d’Albert Denis reprend les actes d’accusation de plusieurs procès.

Nous retenons pour illustrer la situation un témoignage : celui de Jeanne femme Paillet


Je suis Jeanne Pailley, femme de Didier Pailley, vigneron à Toul, on me soupçonne d’être sorcière, et d’user de sortilèges.

Des témoins ont été entendus en l’année 1594 par les enquêreurs de Toul, à la requête du procureur général Raguet. Je vais vous dire pourquoi j’ai été inculpée.



Le premier témoin était Babon, femme d’André Guyot, tisserand, demeurant à Toul, âgée de 31 ans environ. Il y a 6 ans, elle et son mari se trouvaient aux loges, suite à une épidémie de peste. Se trouvant en bonne dispostion ils pouvaient retourner en ville. Moi, Jeanne, j’ai demandé à Guyot de me vendre une poule, qui se trouvait aux Champs. Ma demande fut refusée.

Moi, Jeanne, je suis allée chercher des grenouilles avec le fils de Guyot âgé de 7ans alors que sa mère lui avait défendu. Je les ai apprêtées, et le fils Guyot les a fait rôtir et les a mangées. On prétendit qu’aussitôt, il fut surpris par une extrême et grave maladie ; il jetait le sang par la bouche, le nez, et par les oreilles de la liqueur semblable à du venin et à du poison. Au bout d’un mois il perdit l’usage des membres et de tous les sens donnés par la nature, la parole, la vue, l’ouïe. On dit qu’il était piteux à voir et que l’on sentait dans son ventre un morceau de la grosseur d’un pain de deux blancs qui était dur comme pierre. Puis survint une fistule, et l’enfant mourut au bout d’un mois. Babon, la mère, pensa que je lui avais donné le mal pour le refus de la poule.

Le deuxième témoin a été André Guyot mari de Babon, qui a dit la même chose. Il a dit qu’il n’avait pas voulu me vendre la poule car elle donnait des œufs pour nourrir son fils. Il m’a reproché aussi d’avoir fait mourir son fils.

Le troisième témoin était Claudin Bicquilley, âgé de 86 ans, vigneron à Toul. Il a déclaré sous serment que, il y a trois ans, autant qu’il s’en souvienne, messire Gérard desservant l’église saint Amand lui avait promis de lui louer une chambre dans la maison de la cure Saint Amand. Je me suis opposée à son entrée car je l’avais louée la première. Il y eut une altercation entre nous. Je vis que Messire Gérard préférait Claudin Bicquilley à moi. Il entra dans la maison et on rapporta que je lui aurais dit des menaces « eh bien vous y entrez ; vous y voulez coucher ; vous verrez demain au matin s’il vous en prend bien ».On dit que le lendemain il se trouva saisi d’une faiblesse. Il se trouva perclus des deux mains et que dès lors il ne s’en est pas remis. On a estimé que la cause avait été notre dispute et on prétendit que je lui avais toujours porté un mauvais visage.

Le quatrième témoin était femme Cathin, veuve d’un manouvrier. Elle demeurait à Toul et était âgée de 40 ans. Elle a dit qu’il y a 3 ans, encore du vivant de son mari, elle devint malade inopinément, d’une maladie étrange. Elle était enflée et souffrait, et en l’espace de 15 mois a été portée en grande pauvreté. Elle désespérait de la guérison, elle sortit dans la rue et se présenta aux voisins. On découvrit sa pauvreté, jusqu’à ses linges et habits qui tombaient en pourriture. Elle désirait plutôt la mort que de vivre davantage. Je fus émue de compassion. Je suis allée quérir dans ma maison une chemise blanche et elle s’en revêtit. Petit à petit, elle recouvra la santé et guérison. Elle dit ne pas savoir d’où provenait le mal, et que la chemise avait aidé à sa guérison. On dit de moi que j’étais suspecte et redoutée des bons voisins.




L’inquisition à Toul                           Face à l’ancien couvent des dominicains


Le mot inquisition désigne deux choses : une procédure d’enquête et un tribunal confiée notamment aux dominicains mais pas uniquement. Le premier inquisiteur connu, Conrad de Marbourg, est un prémontré. Le Pape se tourne vers les dominicains en particulier pour la France (1233) et pour le Languedoc (1234). Deux ans plus tard, il leur adjoint un franciscain. Ce sont là des ordres intellectuels, spécialisés dans la prédication dont les membres sont des théologiens. En pratique, ils n’assurent plus cette mission en France au XVe siècle, s’effaçant devant les tribunaux d’état. A Toul, l’ordre est appelé vers 1240. Les dominicaines s’installent bien plus tard, en 1622.



Le protocole de condamnation                            Face à Saint Gengoult  





Protocole de condamnation pour sorcellerie à Toul (suite)
                                                                               Porte Malpertuis

Extrait de l'ouvrage d'Albert Denis






Les sorciers dans les légendes de Toul            Sur le rempart vue du St Michel


Plusieurs légendes du Toulois évoquent l’intervention de sorcellerie. Nous en retiendrons une qui a comme cadre « le Saint Michel » et «  la côte barine » côtes directement visible de Toul. 



La colline « Le St Michel » s’appelait autrefois le mont Bar.



On raconte que le Diable lui-même, organisait des sabbats en son sommet. Toutes les sorcières des Vosges, de Meuse, de Lorraine, « la haute volée », venaient fêter leur maître. Du bruit, des flammes, des rires effrayaient les habitants de Toul, retranchés dans leurs demeures, volets clos.

Cela durait toute la nuit.



Les habitants demandent à leur évêque d’intervenir. Celui-ci décide de bénir cette colline et de changer son nom, en l’appelant St Michel, l’archange qui a vaincu le démon.



Cette nouvelle ne plut pas au diable, qui rentra dans une colère épouvantable.

Il chercha un moyen de garder sa place forte. Il demanda à ses acolytes de confectionner une hotte immense.


Un soir il monta au sommet muni d’une pioche, d’une pelle et de cette hotte.

Il avait imaginé de transporter le mont Bar dans sa hotte et de l’installer dans un lieu moins hostile.

Toute la nuit il piocha, creusa, pelleta. Mais tout Diable qu’il était, il suait, se fatiguait, la tâche était grande.



Il regardait souvent vers l’est, car dés les premiers rayons du soleil, il devait partir.

Déjà un coq chante dans le lointain, il charge son fardeau et dévale la pente. Une souche le fait trébucher, il tombe et renverse ses grabats. Il disparaît.



La nuit fut terrible pour les habitants des environs, entre bruit et jets de pierres.

Quant au matin ils se décident à regarder vers le mont Bar, il manque à celui-ci sa cime, mais à côté, il y a une petite colline.

Après en avoir fait le tour et après bien des palabres, comprenant que cette colline est une partie du mont Bar, ils lui donnent le nom de Côte Barine.





Faits contemporains rappelant  la sorcellerie dans le toulois   

Présentation par Jean-Pierre Ziegler d'un objet relatif à la sorcellerie, trouvé dans le toulois.

                



La sorcellerie reste une source d’inspiration pour des auteurs. La nouvelle "Eléonore" de Jean-Pierre Ziegler a reçu le prix Moselly décerné par le CELT en 1969.




LA SORCELLERIE DANS LA LITTERATURE                                     
                                                         
Textes de Josette Codron lus sur le parcours
1- La croyance, au diable, à la fée, à la magie, à la sorcellerie, à la sorcière, moins souvent aux sorciers, s’exprime de façon permanente dans la littérature.

Deux genres littéraires : le merveilleux et le fantastique, rendent compte de l’irruption d’éléments irrationnels qui installent le trouble dans le monde observable et quotidien : objets et paroles magiques, poisons, pactes, assemblées ou sacrifices… sont des constantes de ces récits extra-ordinaires.

Cette croyance en une énergie mystérieuse qui vient de « quelque part » est très répandue en littérature : « un rien suffit pour délimiter deux mondes » d’où l’ambivalence de certaines figures célèbres comme par exemple :

Circé, dans la mythologie grecque, qui est déesse magicienne puissante, tantôt sorcière maléfique, tantôt fée bienfaisante.

La sorcellerie qui cherche à mobiliser les puissances surnaturelles est souvent dans les contes et récits pratiquée par des femmes et très souvent c’est par elles que, soi disant, «  le mal arrive ! »

L’origine de la Guerre de Troie n’est-elle pas causée par la fatidique pomme d’or offerte à Aphrodite ?

Eve, la première femme de la Bible, en cédant au serpent, à la tentation, aurait engendré la mort ! (le mot serpent en hébreu signifiant à la fois magie et refus de vivre est assimilé à Satan).L’historien Georges Duby, spécialiste du moyen-âge, affirme que le récit mythique d’Eve la pécheresse a influencé la représentation de la femme jusqu’au 15 ème siècle.



Il n’est pas étonnant d’observer, lors des témoignages historiques lus ici, que ce soit la femme le plus souvent présentée comme responsable, donc victime.

La chasse aux sorcières, «  boucs émissaires  de tous les maux», a battu son plein de 1400 à 1650  et la littérature s’en est fait largement l’écho.

Dans la pièce de Shakespeare : Macbeth (1606), ce sont trois sorcières maléfiques qui sont les instruments de destins tragiques.

Il faudra attendre Michelet, plus encore le poète que l’historien, pour défendre la femme de façon inconditionnelle et réhabiliter en quelque sorte la sorcière « qui connaît les médecines et guérit »! (La Sorcière 1862) ,



2- De nombreux écrits insistent sur le rôle du démon, de ses métamorphoses monstrueuses, des méfaits qu’il peut opérer, et de ses promesses aux plus faibles. La sorcière étant son interlocuteur favori !

Le diable, chef des démons, a diverses dénominations en littérature : tantôt nommé l’Adversaire, le Diviseur, le Mauvais, le Prince des Ténèbres, Satan. Il est invisible, mais sait mettre l’homme à l’épreuve .Sorciers et sorcières ont commerce avec lui ! Poudres, incantations magiques, envoûtements, sacrifices, offrandes de toutes sortes font partie des moyens déployés.

Même l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751) consacre de nombreuses pages aux sorciers : « On se souviendra avec étonnement, dit M. de Voltaire dans son essai sur le siècle de Louis XIV, que la maréchale d’Ancre fut brûlée en place de Grève comme sorcière et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée(sœur de lait de Marie de Médicis) lui demanda de quel sortilège elle s’était servie pour gouverner l’esprit de Marie de Médicis, la maréchale lui répondit : je me suis servie du pouvoir qu’ont les âmes fortes sur les esprits faibles ;et cette réponse ne servit qu’à précipiter l’arrêt de sa mort. »… «  La maréchale d’Ancre fut accusée de sortilège, de s’être servie d’images de cire qu’elle conservait dans les cercueils et d’avoir fait venir des sorciers prétendus religieux dits ambrosiens de Nanci(Nancy) en Lorraine »

On notera que Voltaire consulta les ouvrages de Dom Calmet, le rencontra, et trouva refuge un temps chez lui.

Les sabbats, dont il est souvent question, font penser au Faust de Goethe (vers 1808) et à d’autres représentations de Faust ou littéraires ou musicales.

Un certain Dr Faust aurait vécu en Allemagne au les 15 ème ou 16 ème siècle. Il donna lieu à de nombreuses légendes, puis, enfin, devint personnage littéraire. Un pacte avec un démon nommé Méphistophélès l’immortalisa, et le relia à l’épisode de la célèbre Nuit de Walpurgis .Cette nuit du 30 avril au 1er mai donnait lieu au sabbat des sorcières. (Elle coïncidait avec la fête de Ste Walburge (710 - 779). Mais cette fête païenne n’avait évidemment aucun lien avec la sainte et était interdite par l’Eglise !

Damnation et possession sont des constantes lorsque l’on évoque diables et sorcières.



3- La Légende dorée est un ouvrage écrit en latin (1261-1266) par Jacques de Voragine, Dominicain et archevêque de Gênes. Il semblerait que ce soit le premier ouvrage imprimé en langue française en 1476 à Lyon. L’auteur entendait exalter la foi en créant une sorte de «  mythologie chrétienne ». Ce vitrail représente un «  possédé » en proie aux forces du mal, mais qui sera heureusement délivré…

Saint Georges et Saint Michel sont représentés dans de nombreuses églises en train de combattre le mal caché sous la forme d’un dragon. La littérature est riche de ces exemples d’affrontement. Il s’agit de  libérer les forces mauvaises, le péché, installé dans un corps humain. Au 20ème siècle, nombre de films relatent exemples et semblables allégories du mal.

En 1926, le roman Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos, union du fantastique et du réel, décrit le calvaire de l’abbé Donissan, sorte de Curé d’Ars, animé d’une telle passion du salut qu’il offre sa damnation (?) possession (?) afin d’épargner la jeune Mouchette.

Dans cette cathédrale qui subit la fureur révolutionnaire, il me semble opportun d’évoquer l’écrivain Jacques Cazotte guillotiné en 1792 et son célèbre roman : le Diable amoureux (1772).Ce roman est considéré comme le premier récit fantastique. Un chevalier invoque le diable, Belzebuth, dans les ruines d’Herculanum. Celui-ci apparaît sous la forme d’une tête de chameau, puis se change en épagneul et au final, devient une belle jeune fille !

Le thème de « la Beauté du Mal » aura des adeptes en littérature…

« Le monde invisible nous presse de tous côtés » répétait à l’envi Jacques Cazotte qui prophétisait en privé et considérait la Révolution comme l’œuvre du Diable en personne.



4- Quelques auteurs célèbres de la Pléiade ont eux aussi cédé littérairement à la chasse aux sorcières.

Pierre de Ronsard est éminemment respectable dans le cœur des écoliers qui ne savent peut-être pas que sous les traits de la jeune et belle Cassandre Salviati « Mignonne, allons voir si la rose… » se cache la Cassandre de Troie aimée d’Apollon qui a reçu le don de prophétie et dont les yeux qui enchantent l’amant et le monde ont aussi des pouvoirs de sorcellerie !

Ronsard compose trois pièces pour la sorcière Denise qu’il foudroie !(1550)

« Puisse- t -elle mourir bientôt

Et que ses os diffamez

Privez d’honneur et de sépulture

Soient des corbeaux goulus pasture … » Il regrette explicitement que le bourreau se soit contenté de fouetter cette pauvre femme originaire du vendômois !



« Par toi les vignes sont gelées Par toi les plaines sont greslées Par toi les arbres se renversent Par toi les laboureurs lamentent leurs blés perdus et par toi pleurent les bergers leurs troupeaux qui meurent… » Ces vers accusateurs sont de Joachim du Bellay qui, lui aussi, accuse une autre femme !

Le scepticisme de Montaigne n’a pas encore instillé raison et doute… « C’est mettre ces conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif » dit-il dans Les Essais.





5- En ce qui concerne les représentations des gargouilles, constatons que l’humain a bien du mal à se situer entre l’Ange et la Bête ! Les Métamorphoses d’Ovide perdurent !

Cathédrales et cloîtres font penser à cet historien et écrivain, Prosper Mérimée, ami de Viollet le Duc. L’un et l’autre mirent tout en œuvre pour sauver nos merveilles architecturales. Prosper Mérimée, comme Victor Hugo, remit le moyen- âge au goût du jour.

Dans les Odes et Ballades (1826 ), Victor Hugo se joue de la figure de la sorcière dans « La Ronde du Sabbat » , toute l’atmosphère féerique et poétique d’un cloître se mêle à celle de la magie et de la sorcellerie.

Mais la figure la plus touchante dans notre imaginaire reste bien sûr ce personnage du roman, dont le titre complet est Notre Dame de Paris 1482 ( publié en 1831) : l’énigmatique Esméralda. Prétendue sorcière, danseuse des rues, accompagnée de sa chèvre, elle exerce une fascination troublante. On la dit de race « bohème et adonnée aux maléfices ! ».Lors de son procès, livre 8 « Vous avouez avoir vu le bélier que Belzébuth fait paraître pour rassembler le sabbat qui n’est vu que des sorciers. Vous avouez avoir eu commerce avec le diable sous la forme d’une chèvre… » Et l’innocente jeune fille ayant appris des tours à sa chèvre les fait reproduire lors du procès (car la bique comparaît elle aussi aux bancs des accusés) qui mènera Esméralda vers le gibet ! Quasimodo, accusé lui aussi d’être sorcier, se laissera mourir en enlaçant le cadavre d’Esméralda.






6- Conclusion

Les personnages dont s’empare la littérature ont toujours en eux cette mystérieuse ambiguïté qui fait leur inépuisable richesse . Le personnage de la sorcière en est l’exemple type car avec elle, nous passons allègrement du visible à l’invisible…

La littérature enfantine a déjà bien habitué le lecteur adulte à ces facettes contradictoires de l’âme humaine et les fées peuvent soudain devenir de méchantes sorcières.

Ainsi le personnage de Jeanne d’Arc, que le militant rationaliste Michelet a hissée au rang d’héroïne nationale, fut pourtant brûlée pour sorcellerie !

Sorcière maléfique pour Shakespeare, personnage burlesque pour Voltaire, résistante patriotique pour Bernard Shaw, canonisée en 1897, elle fait l’objet de centaines de biographies, pièces de théâtre et films…

L’irrationnel questionne, fascine, et puisqu’il faut comme dans les westerns des bons et des méchants, la littérature utilisa les sorcières pour faire peur aux petits et grands enfants  et tenter d’ identifier le mal!




En guise de conclusion…

Les épisodes de sorcellerie correspondent à des temps de malheurs, marqués par les épidémies et les guerres (notamment la Ligue), D’où la misère, l’insécurité, les inquiétudes et les psychoses. Ce contexte favorise le phénomène. A une époque où le malheur rode, la sorcellerie permet de trouver une « raison » à la difficulté des temps
            
 Les accusations émanent presque entièrement des communautés locales. Les plaignants se présentent en victimes de voisins malveillants. Enfin, l’aboutissement à l’accusation résulte souvent de mésententes progressives entrecoupées de commérages puis d’identification de celui ou celle par qui le malheur arrive.